samedi 28 avril 2012

une petite fille brune, une petite fille blonde

 
Je me souviens, j’ai dix ans. Dans mon école, il y a deux filles amies entre elles, je les admire toutes les deux. Une blonde, une brune, elles ont toutes les deux de magnifiques cheveux longs, un peu ondulés pour la petite fille blonde, très lisses et brillants pour la petite fille brune dont la mère est vietnamienne (je la vois à la sortie de l’école). Elles me semblent toutes les deux très heureuses, très à l’aise …
La blonde aux cheveux ondulés habite mon quartier, on se croise de temps en temps chez le marchand de pain (on ne peut pas appeler ça une boulangerie, je vous raconterai une autre fois), je lui souris, mais elle ne me reconnaît pas, je pense même qu’elle ne me voit pas. Du haut de mes dix ans, son absence de regard sur moi me renvoie à mon insignifiance.
Pour la kermesse de fin d’année (à laquelle, année après année, je refusais obstinément de participer), elles ont chanté en duo une chanson de Johnny et Sylvie (ça aurait dû calmer mon admiration !). Elles avaient l’air de beaucoup s’amuser, le public riait. Elles avaient inventé une chorégraphie. Je regardais. Ca faisait plutôt mal.
L’année d’après, Dominique est arrivée dans ma classe, une grande fille longue, fine, métisse. Nous sommes devenues les meilleures amies du monde. Elle avait deux grandes sœurs très belles qui m’aimaient bien. Finalement, tout allait bien, mais pas au point de participer à la kermesse, tout de même.

dimanche 15 avril 2012

de l'art de se vêtir


Je me souviens qu’étudiante, à l’âge de vingt ans, je travaillais les samedis et lundis dans les très grands magasins parisiens du boulevard Haussmann. C’est là que j’ai découvert que le problème de mon corps de femme à envisager le vêtement qui me siérait le mieux n’allait pas forcément se résoudre avec l’âge ! J’ai ramassé des tonnes de vêtements que les femmes emmènent dans les cabines, laissent au sol et visiblement, piétinent. J’ai désespérément essayé de faire rentrer un corps quarante deux dans un trente huit, pour m’entendre dire que visiblement je ne savais pas convertir une taille italienne en taille française, j’ai vendu à la même personne en une fois huit pulls de même forme et de couleurs différentes. Chaque pull coûtait le salaire de la vendeuse que je remplaçais pendant son jour de congé. Je les ai livrés dans un somptueux appartement du quinzième arrondissement. J’ai aussi vendu un pantalon à une actrice allemande qui joue parfois dans des films français où l’on entend son magnifique accent, un autre à une célèbre auteur de bande dessinée dans laquelle son héroïne A. a des problèmes existentiels avec les fringues. J’ai vendu la jupe que je portais à un homme qui la voulait absolument pour sa femme ! J’ai retrouvé une petite culotte dans la cabine d’essayage (trois fois dans ma vie, j’ai trouvé des culottes dans des endroits où je ne voyais pas bien ce qu’elles avaient à y faire !). Et j’ai aussi reçu un harem ! Envol d’oiseaux noirs qui dévastent le stand en rigolant bien. Des hommes se plantent devant les cabines pour qu’aucune vendeuse n’entre. En trois heures, elles ont généreusement dépensé deux millions de francs. C’était la première fois que je ne voyais absolument rien du corps d’une femme, ni les mains enfouies dans des gants en cuir, ni les yeux cachés derrière un fin grillage argenté ! Enfin, c’est là que j’ai appris que se choisir un vêtement n’est ni frivole, ni forcément léger et qu'il peut se jouer là de grandes douleurs existentielles. 

lundi 9 avril 2012

De l’ordre du festin


Du champagne, des framboises, des mangues, du thé vert japonais, un oolong de chine, un verre de lait fermenté, des asperges, des artichauts violets en salade, un parfum de coriandre, un verre de vin blanc sur la terrasse, quelques huîtres pour une fin de matinée très fraîche, un verre de vodka glacée au milieu d’une nuit d’été, des sushi aux œufs de saumon, un sandwich au fromage et un verre de rouge avec mon homme, au café Garonne, en attendant le spectacle, le limoncello de J., un smoothie  assise sur un tabouret bleu  Luong Ngoc Quyen Street à hanoï, un chocolat brûlant sur un comptoir en bois à Sienne, un cheesecake chez Eileen à Manhattan, un whisky – glaçon dans l’appartement de Brooklyn, la purée mousseline pleine de beurre de maman, une crème aux œufs parfumée au thym, le taboulé vert persil de papa, la vue d’un biscuit Chamonix (mais pas le goût !),  un filet d’huile d’olive coulé sur un morceau de pain, un scone à l’autre salon de thé, un chawarma chez adonis, il y a très, très longtemps, un dîner en amoureux au jardin gourmand, un bol de nouilles au tofu chez qualité, qualité (en fait, une micro cantine chinoise sans nom), un déjeuner de printemps au Moaï, une salade de nems au kiosque à nems s'il fait assez beau pour s'assoir dehors, une banane mixée avec du tofu soyeux, la liqueur de verveine de m., l’odeur d’un curry-coco qui mijote, tous mes dîners d’anniversaire préparés par f.

mercredi 4 avril 2012

deux grammes de sel

 
Je me souviens avoir porté en douce, à l’hôpital, trois huîtres et du vin blanc, à mon père, un dimanche matin. Ce n’est pas qu’il n’avait pas le droit, mais c’était plus drôle sans demander, faire comme si c’était interdit. C’était une période où il y avait une fin de non-recevoir hospitalière à son appel désespéré d’avoir un peu de sel dans ses aliments. Il a fait une grève de la faim, trois jours. Il a gagné et pris un malin plaisir à manger son premier repas, des carottes, sans ouvrir le petit paquet de deux grammes posés à côté de son assiette. Ca s’appelle très clairement une tête de mule ! Je me souviens que j’étais inquiète, énervée de tout ça, qu’aucun des deux ne veuille céder, et aussi admirative de tant de volonté à circonscrire son lieu de pouvoir, si petit soit-il, à l’hôpital. Je me souviens que je me disais que cette volonté, génétiquement, elle devait bien être quelque part en moi.
Et aussi cette éternelle bonne humeur quand la douleur donne du répit. Mais là, f. dit que j’ai encore un peu de travail !