H. me dit qu’elle n’achète des livres que dans cette
librairie, cette petite librairie, celle de son adolescence, dans une autre
ville, où elle retourne régulièrement. Elle sait qu’elle passe alors pour
quelqu’un d’extrêmement snob, car nous vivons dans la ville qui possède la plus
belle librairie de France (si, c’est vrai, même Ali ibn el Kharish l’avait
dit. Il avait dit qu’il n’avait jamais vu de librairie comme ça dans le monde ! On avait ri, on avait envie que ce soit vrai)
Cette petite phrase au détour de la conversation me fait
rire et me rend triste. La librairie de mon adolescence a fermé l’année
dernière. Une librairie avec un sous-sol où étaient rangés les livres de poches.
Au fil des années, je descendais moins et achetais « des vrais
livres », format adultes, ceux alignés sur les tables du rez-de-chaussée. La
librairie faisait un angle, elle avait deux vitrines, une sur chaque rue. Le
coin en face : une librairie – papeterie sans intérêt. La guerre des
genres, de positionnement social, choisir son camp, sa rive, assumer son
exigence littéraire, celle qui, à l’âge de l’adolescence, vous révèle peu
d’amis.
J’y avais acheté « les versets sataniques », le
libraire de l’époque avait laissé les livres dans un carton à l’entrée de la
librairie, nous disant en rigolant, je le vends, mais je ne le touche pas, on
ne sait jamais, payez et servez-vous !
Adolescente, j’y avais acheté Le discours amoureux (et je
sais que je ne suis pas la seule).
Plus tard, je n’étais plus adolescente, le libraire avait
changé, nous avions sympatisé, je me souviens d’un déjeuner de pâtes et de
courgettes, chez lui, un jour, dans une petite maison au bord de la mer. Il est
parti à son tour ; moi, je n’habitais déjà plus la ville. J’y allais de
temps en temps en vacances, j’y achetais à chaque fois un livre, pour dire,
pour continuer l’histoire avec « ma » librairie.
Et puis, cet été, à la place de la librairie, il y a une
boulangerie – pâtisserie qui a gardé le nom qui appelle quand même plus la
création que le petit gâteau. C’était noir de monde. Je suis restée sur le
trottoir d’en face, l’air mauvais, à l’entrée de la « librairie » d’en
face, toujours là, elle. Ah, j’oubliais, dans cette ville, la maison de la
presse aussi, a fermé.
Cette nuit, nuit de pleine lune, je ne dors pas. Je lis sur
le canapé, j’attends le chat qui finit par arriver et avec qui je partage un
bout de gâteau, il est trois heures passées. Je finis le livre acheté en
vacances, dans une vraie librairie, cachée au cœur d’une forêt. Une
librairie-café, faite pour les longues pauses après la marche.
C’est un livre qui parle de s’isoler, de s’enterrer, d’être littéralement
englouti et finalement, reprendre vie.
Dans la vraie vie des librairies, parfois, il y a ça aussi : des héroïnes prennent vie. Attention, ça fait peur ! (merci Eric). Bon, il faut bien connaître son Stephan King !